Traduction de l’espagnol en français de l’article de Jordi Nieva-Fenoll publié le 2 juin 2019

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[Traduction]

Le procès entre dans la dernière ligne droite sans que les délits de rébellion et de sédition n’aient été prouvés.

Les éléments de preuve confirment qu’il n’y a eu ni volonté de conserver le pouvoir, ni soulèvement violent.

Le procès qui fera date est sur le point de se terminer. On parle encore de la condamnation de Lluís Companys et de son gouvernement en 1935. Ce procès s’était conclu par une peine de 30 ans de réclusion. La condamnation ne fut pas unanime et elle fut amnistiée quelques mois après par un décret-loi du gouvernement de la République de février 1936 portant expressément reconnaissance du résultat des élections législatives qui avaient eu lieu peu de temps auparavant et que le parti de Companys avait remportées. Cette amnistie fut l’occasion de reconnaître que les électeurs rejetaient la condamnation.

Ce qui s’est passé en 1934 fut une vraie rébellion. Il y a eu des affrontements armés et une intervention militaire directe qui, grâce à l’habileté du général Batet, a permis d’éviter un bain de sang. Les autorités catalanes étaient bien décidées à conserver le pouvoir et à ne pas reconnaître le gouvernement de la République espagnole.

Certains des faits qui sont actuellement jugés par le Tribunal Supremo [Cour suprême] n’ont en réalité absolument rien à voir avec les événements de 1934, même si les extrémistes des deux camps aiment les comparer. De nombreux éléments de preuve ont été examinés lors de ce procès mais, curieusement, tous coïncident sur certains points majeurs.

Le premier de ces points est l’absence totale de volonté des autorités catalanes de conserver le pouvoir. Il ne fait aucun doute que les lois des 6 et 7 septembre [2017] – qui, étonnement, n’ont presque pas été abordées lors des débats – constituent une tentative de désobéissance vis-à-vis du Tribunal constitutionnel. Cette tentative de désobéissance fut consommée au moment où, en dépit de la suspension par ledit Tribunal, les autorités catalanes ont décidé d’organiser le référendum qui n’offrait pas les garanties de crédibilité et de transparence du résultat du vote telles que reconnues dans la loi sur le référendum. Lesdites autorités ont alors effectivement désobéi au Tribunal constitutionnel, mais également à la loi qui avait fait l’objet d’une suspension. Ce point ne soulève presque aucun débat.

L’indépendance fantasque

Le deuxième point sur lequel il existe un consensus est le fait que les autorités ont souhaité mettre en application le résultat du référendum. Elles ont dit qu’elles le feraient et elles l’ont fait, même si ce n’est que par des mots. Ce point est très important. En effet, lesdites autorités ont déclaré l’indépendance à deux reprises, au nom d’un prétendu « mandat démocratique » qui, au-delà des idéologies et de la passion, n’était que pure fantaisie, sans base légale, au point qu’aucun observateur impartial n’a considéré le référendum comme valide. Il est dès lors difficile de comprendre les raisons pour lesquelles les autorités ont choisi et le référendum, et la tentative d’appliquer son prétendu résultat.

Les autorités s’attendaient peut-être à ce que la communauté internationale réagisse, ce qui ne fut pas le cas. Il ne pouvait pas en être autrement dans la mesure où le référendum n’offrait pas les garanties juridiques suffisantes. Quoi que les autorités catalanes aient pensé, la plupart des membres du gouvernement étaient conscients de l’échec. Carles Puigdemont en était convaincu car il s’apprêtait à organiser des élections régionales. Son état d’esprit, alimenté par d’absurdes accusations de « trahison » l’a toutefois poussé à déclarer l’indépendance.

Ce qui s’est passé juste après, le plus important juridiquement parlant, a, de manière incompréhensible, été passé sous silence durant le procès. L’article 155 de la Constitution espagnole a été appliqué, le pouvoir a été remis immédiatement dans la soirée du même vendredi et, dans les 48 heures qui ont suivi, Carles Puigdemont a choisi de partir en Belgique. Personne, pas même lui, n’a décidé de conserver le pouvoir. Peut-être que l’idée leur a traversé l’esprit ou qu’ils l’ont même dit, mais personne ne l’a fait. Il n’y a pas eu de résistance. Il n’y a pas eu d’intervention armée, comme cela est le cas pour réprimer n’importe quel soulèvement dans le monde entier. Il n’y a rien eu. Ce point est juridiquement important au motif qu’il écarte complètement l’existence d’un soulèvement. Ce qui s’est passé, même si cela est difficile à admettre, n’est autre qu’une situation absurde et démesurée.

Ni rébellion, ni sédition

Il n’y a donc eu aucune forme de violence. Les accusations se sont attachées sans relâche à affirmer son existence en choisissant toutefois des moments qui, sur le plan juridique, sont inappropriés pour étayer un soulèvement présumé. Le 27 octobre, date clé, il n’y a eu aucune manifestation pour tenter de conserver le pouvoir par la force de la foule. Il n’y a rien eu. Même le drapeau espagnol du Palais de la Generalitat n’a pas été mis en berne. Le rassemblement du 20 septembre [2017] devant le siège du ministère [régional] de l’Économie n’avait d’autre dessein que de protester contre une mesure judiciaire, sans pour autant l’empêcher car le but n’était pas de prendre le pouvoir. Il en est de même des concentrations du 1er octobre [2017], dont la finalité était de protéger quelques urnes mais pas de prendre le pouvoir.

Lors desdites concentrations, il n’y a eu que des coups de pied, des bousculades, des tiraillements, des crachats, des insultes, des « visages de haine », des bouteilles en plastique et quelques pierres. Aucun blessé grave n’a été déploré. Il n’y a pas eu de barricades de guérilla urbaine, pas violence de rue à grande échelle, pas d’incendies, pas de cocktails Molotov, pas de pillages et pas d’utilisation d’armes à feu. Il s’est produit ce qui arrive dans toute manifestation, à des degrés mêmes moindres. Il ne s’agissait que d’un simple exercice du droit de manifester. Sur le plan juridique, le fait de donner des coups de pied, de pousser, etc. constitue, tout au plus, des troubles à l’ordre public. Les incendies, les pillages, etc. pourraient être constitutifs d’une sédition, mais pas d’une rébellion. J’insiste, ces derniers n’ont pas existé.

Le mystère du détournement de fonds

S’il y a eu détournement de fonds, les accusations n’ont pas expliqué en quoi il a consisté. Leurs allégations souffrent d’un vide argumentaire phénoménal, de sorte qu’elles ne sauraient noircir des pages et des pages pour se référer à des paiements contestés avant la suspension du Tribunal constitutionnel et pas après. La preuve d’un délit exige d’en préciser le modus operandi et cette preuve n’existe simplement pas.

La question qui se pose maintenant est de savoir à quoi ressemblera la décision. Il reste encore à écouter les plaidoiries des avocats de la défense et il ne fait aucun doute que certaines seront éloquentes. Les plaidoiries joueront sur la décision car, en cas de condamnation, il conviendra de les réfuter avec justesse. Nous écouterons beaucoup de « voyants » au cours des prochains jours mais, pour l’heure, même les juges de la Cour suprême ne savent pas avec certitude à quoi ressemblera leur décision.

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